Calligraphie
J’ai toujours été fasciné par la calligraphie chinoise et arabe, mais je trouve l’expression picturale de notre alphabet bien triste et limitée. Ce qui m’a surtout attiré dans l’écriture chinoise, c’est qu’il s’agit d’idéogrammes et non de signes alphabétiques. Chaque signe a un sens en lui-même, complètement indépendant de la prononciation phonétique qu’on peut lui attribuer. Les seuls idéogrammes que nous avons dans nos langues occidentales sont les chiffres. Chaque chiffre a un sens par lui-même, dans sa forme graphique, quelle que soit la prononciation que chaque langue lui attribue. Mais les chiffres ne sont pas des idéogrammes très inspirants pour un artiste. Même si j’ai passé plusieurs années à étudier le chinois et la calligraphie chinoise, je ne suis pas arrivé au niveau de familiarité où je pourrais arriver à utiliser l’écriture chinoise et ses idéogrammes de façon spontanée et créative ; je me suis limité à copier la calligraphie des maîtres et ma connaissance très limitée de la langue chinoise ne m’a jamais permis de l’utiliser pour écrire.
Il y a deux formes de création qui m’attirent particulièrement : l’écriture et la peinture. Pour moi, ce sont malheureusement deux activités tout à fait séparées ; soit j’écris soit je peins, mais je ne peux pas faire les deux en même temps. Dans la calligraphie chinoise, il y a cette unité de l’écriture et de la peinture qui m’a toujours attiré. J’ai tenté à plusieurs reprises de trouver cette unité dans ma peinture. J’ai peint des lettres, des idéogrammes, des mantras et d’autres textes, mais dans ces tentatives, s’il y avait bien création picturale, il n’y avait pas création littéraire. Je vois toutefois une différence entre mes peintures de calligraphies et celles de lettres. Dans celles de calligraphies, j’ai utilisé les formes, les couleurs, la composition en harmonie avec le sens de l’idéogramme. Il y avait donc un lien, une certaine osmose, entre la peinture et l’écriture, même si cette écriture n’était que celle d’un seul idéogramme. Dans les lettres, par contre, la forme de la lettre n’était que le prétexte d’une composition colorée ; ce n’étaient pas les connotations de la lettre en elle-même qui donnaient telle ou telle direction à l’inspiration, mais plutôt sa forme.
Pendant toute une période, j’ai intégré des lettres ou des textes à de nombreuses peintures. Soit ces textes ou lettres constituaient le sujet même de la peinture, soit ils rappelaient le titre ou le sujet de la peinture.
Je suis fasciné aussi par certains alphabets, comme ceux du sanscrit et du tibétain. Je pense souvent à inclure de nouveau des textes dans mes peintures, mais plusieurs choses me retiennent : je ne trouve pas l’alphabet latin très esthétique ; si j’écris les textes dans une certaine langue, ceux qui ne la connaissent pas ne peuvent pas les lire ; et si je choisis une langue qui a un alphabet que je trouve plus esthétique, c’est moi que ne la connais pas pour pouvoir l’écrire. La peinture a justement l’avantage de ne pas dépendre d’une langue particulière pour être admirée et comprise, pourquoi alors y introduire des textes ? Et je pense que moins la peinture a de sens au niveau conceptuel et intellectuel mieux c’est ! Ainsi, ce que j’aimerais faire avec des textes peints serait plutôt de l’écriture que de la peinture. J’aimerais donner à cette écriture une forme plus attrayante et colorée que le texte imprimé, afin d’avoir des textes inspirants sous les yeux sous forme de peintures, au lieu de les oublier enfermés dans des livres. Des textes d’enseignements spirituels, des conseils du cœur, des préceptes, des poèmes de sagesse… Je pensais même que ces textes-peintures seraient à leur place sur les grands panneaux publicitaires qui bordent les routes : ce serait une façon plus populaire de montrer des peintures que les espaces clos et réservés des galeries ou les temples des musées…
2 janvier 2001, Chiang Mai