Correction du Journal
J’ai repris depuis une semaine la correction du Journal : le cahier 59 de l’année 2000. Je la fais le soir, entre 22 heures et minuit. C’est laborieux et ça avance lentement. Même si j’en faisais deux heures tous les soirs, il me faudrait des années pour arriver au bout de mes soixante-six cahiers. Et est-ce bien utile ? C’est certes une mauvaise question, car ce n’est pas un critère qui devrait entrer en ligne de compte pour choisir mes activités. Comme de savoir si c’est important ! À moins de se prendre pour Dieu, comme dirait Éric Baret*, comment savoir ce qui est utile et important ? Corriger le Journal est une des choses à faire : si on considère qu’il y a des choses à faire dans la vie. Mais pour l’instant, même si idéalement je préférerais pratiquer le wu wei*, le « faire » est toujours ma manière de fonctionner et mes petites « to do lists » continuent à diriger ma vie. Il faut savoir l’accepter !
La correction du Journal fait partie d’un travail commencé – il y a plusieurs années déjà – et qui n’est pas terminé. J’avais décidé de faire taper les cahiers manuscrits peu lisibles du Journal : pour que d’autres puissent les lire, pour les déposer à l’APA (Association pour l’autobiographie), et pour pouvoir en publier certaines parties. Ce que j’ai déjà fait avec Le parfum de l’éveil et Le jardin de la libération. Les textes bruts, une fois tapés à partir de mes enregistrements, sont suffisants pour mon travail de publication. Mais ils comportent trop de fautes pour que d’autres puissent les lire confortablement. Il y a des fautes de transcription, surtout dans les noms propres ; et ils demandent une correction, même sommaire, car le texte original est un premier jet non relu. Voilà donc le travail que je fais. C’est un travail laborieux, à cause du volume des textes, mais qui n’est pas désagréable. Les retours dans le passé sont toujours l’occasion de me remettre en questions et de constater avec humilité comme j’ai peu changé et évolué, malgré le nombre des années. Une autre constatation que je dois aussi avoir l’humilité de faire, c’est que le texte est très irrégulier : il y a certes de bons passages, mais beaucoup d’autres ont peu d’intérêt.
C’est sans doute un jugement hâtif, car un journal montre justement que la vie quotidienne, à part quelques épisodes intenses qui sortent de l’ordinaire, a, elle aussi, peu d’intérêt. Jusqu’à présent, pour faire des livres, j’ai choisi les périodes intenses de ma vie, les voyages, les retraites dans les monastères, les expériences spirituelles. Mais la monotonie de la vie quotidienne, la routine et les petites habitudes, les périodes de doute, de morosité, d’oisiveté, d’ennui, font aussi partie de la vie. Pourquoi ne pas en faire un livre, un jour, en supprimant les passages intenses, comme j’ai parfois supprimé, jusqu’à présent, les passages sans intérêt ?
* Baret (Éric) (né en 1953) : disciple de Jean Klein, Éric Baret enseigne le shivaïsme tantrique du Cachemire. Il est devenu mon principal maître spirituel depuis notre rencontre en 2002.
* Wu wei (chinois) : littér. ne pas faire, non-action. Le wu wei est une philosophie de vie prônée par les taoïstes, qui consiste à s’abstenir de toute intention d’accomplir quoi que ce soit. Le pratiquant du wu wei se contente de suivre le flux de la vie en répondant spontanément aux besoins et aux demandes qui se présentent.
31 octobre 2010, Chiang Mai