Journal intime
Où est la place du lecteur dans un journal intime ? C’est une question qui est apparue dans mes échanges de mails avec une des lectrices de l’APA. Elle très pertinente, et j’aurais beaucoup à dire sur ce sujet qui me concerne profondément. Je vais commencer aujourd’hui.
J’ai l’impression que mon idée a beaucoup évolué, et même radicalement changé, depuis que j’ai commencé à écrire mon Journal en 1984 jusqu’à aujourd’hui. Surtout depuis que j’ai commencé à saisir et corriger ces textes en 2006.
Au début, le lecteur n’y avait aucune place, et il n’y avait pas de lecteur. Mon Journal était rédigé à la main, dans des cahiers que je gardais précieusement dans des coffres (et je gardais des photocopies dans un autre lieu). Comme mon écriture est illisible, il y avait peu de chance que quelqu’un puisse un jour les lire, et moi-même je ne les ai relu que très rarement.
Par contre, quand j’ai décidé de les enregistrer pour les faire saisir, ils ont été révélés une première fois aux deux amies qui les ont saisis. Et la deuxième fois, ce sera au lecteur ou à la lectrice de l’APA. À part les deux épisodes de 1988 et de février 1990 dont un tirage limité (100-150 exemplaires) a été diffusé sous forme de livres (Le jardin de la libération et Le parfum de l’éveil).
Au début, j’ai pensé que je devrais supprimer (censurer) beaucoup de choses, mais ce ne fut pas le cas. Lors du premier enregistrement, j’ai supprimé quelques passages, surtout des passages où il était question de mes problèmes d’argent. Il y avait deux sujets tabou dans ma famille : le sexe et l’argent. Pour les problèmes de sexe, j’avais peut-être déjà effectué une autocensure au moment de l’écriture, plus que pour les problèmes d’argent.
Quand j’ai commencé la saisie et la correction, je ne savais pas encore que j’allais déposer ce journal à l’APA. C’est venu deux ans plus tard, mais je crois que c’est ce qui m’a encouragé à persévérer. Car, depuis dix ans, j’ai passé des milliers d’heures à la correction de ce Journal. Ce fut quelque chose de très enrichissant pour moi, un retour sur le passé, une sorte de psychothérapie peut-être. J’y ai, pendant de longues périodes, travaillé à plein temps, et souvent à mi-temps. C’est ce que j’ai fait pour inviter le lecteur, et, peut-être, lui donner la place qu’il n’avait pas ?
Maintenant, je suis content d’arriver au bout, et à l’idée d’avoir bientôt plus de temps pour autre chose : peindre ou écrire des livres…
En relisant et corrigeant ces milliers de pages, j’ai aussi trouvé qu’il y avait beaucoup de choses intéressantes, et j’ai eu envie de les partager. Il faut dire que j’ai toujours beaucoup aimé ce que je faisais, mes peintures et mes écrits. Est-ce un narcissisme puéril ? Peut-être. Ou un besoin de reconnaissance ? Peut-être aussi. En tout cas, j’ai dû me résigner (pas vraiment !) à constater que bien peu de gens semblaient avoir les mêmes goûts que moi. C’est un des thèmes récurrents de mon Journal !
Entre temps, mes recherches dans les domaines spirituel et de développement personnel m’ont amené à comprendre (mais pas encore à accepter complètement !), d’abord que le succès mondain ou commercial ne semblait pas être mon destin dans cette vie, et ensuite, qu’étant en avance sur mon temps, je ne serai compris et reconnu que bien après ma mort (si dans un sens c’est rassurant, c’est par contre difficile à contrôler). Ainsi, savoir quelle est l’importance de ce que j’ai écrit, et de l’immense travail de correction qui a suivi, et s’ils sont, ou seront un jour, utiles à quelqu’un, est devenu un autre thème récurrent de mon Journal.
Il y a toutefois des personnes qui ont aimé mes livres. Et j’ai un ami peintre qui a lu avec intérêt les premiers épisodes du Journal et attend avec impatience la suite, ainsi qu’une amie qui les a lus en partie (car elle a peu de temps).
Seront-ils lus à l’APA ? Je ne suis pas sûr que mes sujets (l’art et la spiritualité) soient les sujets de prédilection des lecteurs potentiels d’autobiographies ou des chercheurs qui fréquentent l’APA. Difficile à dire !
J’ai contacté de nombreux éditeurs, toujours sans succès, surtout pour mon roman (un peu autobiographique aussi) Marlène ou le jeu de la vie, et des pros de l’édition, qui me disent que la vie d’inconnus comme moi n’intéresse personne. Je ne suis pas d’accord. J’ai toujours adoré lire des autobiographies, et pas nécessairement de gens connus. Et je lis avec beaucoup d’intérêt les publications de l’APA. Je trouve passionnant d’apprendre ce que les gens font et comment ils vivent. Et j’aimerais partager aussi l’histoire de ma vie avec d’autres, avec des lecteurs. Est-ce un désir utopique ? Est-ce que cela voudrait dire qu’ils trouveraient ainsi une place dans mon Journal ?
Si le journal est un dialogue avec soi, ou une sorte d’auto-confession, est-ce que cela veut dire que le lecteur n’y a pas de place ? L’autre existe-t-il, ou n’est-il qu’une projection de soi-même ?…
27 novembre 2015, Chiang Mai