La vérité des mots
Au fond, je ne crois pas vraiment à un seul mot de ce que j’écris. J’ai l’impression que je n’arrive pas à être vrai. Mais que veut dire « être vrai » ?
Y a-t-il une vérité dans les mots ? Dans les écrits, les paroles, les pensées ? En fait, les mots – ou les pensées qu’on transpose immédiatement en mots quand on écrit ou parle – d’où viennent-ils ? Quelle est leur source ? Et cette source, a-t-elle la vérité infuse, pèse-t-elle ses mots, ou dit-elle n’importe quoi ? Elle prononce souvent des paroles séduisantes, intelligentes, sages, louables, bienveillantes, originales, amusantes, mais aussi des mots méchants, sarcastiques, frivoles, malveillants, stupides, arbitraires, blessants. Où est la vérité là-dedans – la parole juste* ? Quelle est la motivation inconsciente qui amène ces mots à la conscience ? Qui est-ce qui les dicte ? Dieu, la source, ou l’intuition ? Qui est-elle, celle-là ? Le raisonnement, la logique, l’inspiration, la sagesse, l’imagination, la mémoire ? Qui, là-dedans, est vraiment crédible, de bonne foi ? Mais être de bonne foi n’est pas une garantie de véracité. L’ignorance aussi est souvent de bonne foi.
Le fait est que si je relis mes mots, je me rends compte que je n’y crois pas vraiment. Par contre, ils peuvent néanmoins me plaire, sonner d’une façon agréable… Comme le chant des sirènes ! Ce que j’aime, c’est le côté créatif de leur manifestation, le fait qu’ils apparaissent comme ça, spontanément, et expriment quelque chose qui n’existait pas quelques minutes auparavant. Mais est-ce quelque chose de sérieux, ou simplement un jeu… de mots ? Faut-il s’attacher au sens, au message, comme à quelque chose de vrai, de durable, de définitif ? Ou n’est-ce qu’une sorte de mélodie, qui a son charme sur le moment, et est susceptible d’éveiller chez celui qui la crée – ou celui qui l’entend – des réactions, des émotions, des sensations diverses ? Mais sans prétendre à plus que ça, sans prouver ou démontrer quoi que ce soit de façon infaillible – simplement éveiller d’autres idées, d’autres mots, tout aussi futiles et inconstants.
Si les idées passent et s’évaporent, les mots écrits sont incrustés et leur vérité peut être testée par le temps. Mais par rapport à quelle norme ? À quel étalon de vérité ? Aux sens humains, qu’ils flattent plus ou moins, aux passions qu’ils éveillent, à l’intellect qu’ils séduisent, à l’âme qu’ils inspirent ? Car tout écrit, n’est-il pas d’une certaine manière de la fiction ? Même les théories les plus pointues sont remises en cause, et les souvenirs les plus fidèles sont controversés.
Mais les mots, sans prétendre dire la vérité, restent libres d’exprimer les imaginaires et les fantasmes de l’instant… pour la joie de l’expression !
* Parole juste (pali : samma-vaca) : un des préceptes et un des aspects de la Noble Voie Octuple qui fait partie de la pratique de la moralité (sila). Il s’agit de s’abstenir de quatre sortes de langages : le mensonge, les paroles grossières et les insultes, la médisance, les conversations futiles, et s’efforcer de cultiver leurs opposés : la vérité, les paroles courtoises et les compliments, l’éloge, les conversations enrichissantes.
3 janvier 1999, Chiang Mai