Poésie et peinture : un jeu…
La fantaisie (titre de mon cahier), l’enthousiasme, le jeu, la divine nonchalance… c’est ce dont l’artiste a besoin, mais pas la discipline, le travail, le labeur, l’effort. Ils viennent spontanément lorsqu’on a envie de créer ; on en oublie presque de manger et de dormir : la charrette. Mais ce n’est pas une contrainte, une responsabilité, un engagement, un devoir. Ces mots sont l’horreur pour un artiste. Et lorsque l’artiste ne crée pas, ce n’est pas de la paresse, c’est qu’il est bloqué, qu’il a peur ; qu’il n’a pas son espace, qu’il est perturbé ; ou que sa créativité est en gestation.
Hier, j’ai eu du plaisir à travailler sur mon poème, à jouer avec les mots. Il me semble que dans la poésie on n’a pas besoin d’une histoire aussi précise ; le sens est moins important que l’impact, le son, les rapports des mots. C’est plus le senti, les impressions, qui sont exprimés. Parfois, d’ailleurs, j’essaie trop d’y mettre mon esprit logique. Dans l’écriture, il me semble que je suis moins bloqué, car je n’ai pas trop d’attente ou d’ambition. Je me satisfais d’un résultat qui n’est pas parfait ; et je jouis du plaisir d’écrire, de chercher les mots, d’améliorer le texte.
Pour la peinture, en ce moment, j’ai plus d’anxiété, d’appréhensions : j’ai peur d’échouer. C’est pourquoi je n’ai fini aucun tableau depuis mon retour. S’ils ne sont pas finis, ils ne sont pas ratés, ils peuvent toujours être sauvés. Même si le début n’est pas génial, la fin peut en faire un chef d’œuvre ; et c’est cette fin que j’ai peur de faire. Et si le début n’est pas génial, cette fin est encore plus difficile à faire. Ce n’est pas impossible, mais presque. Dans ce cas, la feuille blanche est moins ingrate, il est plus facile de commencer autre chose. Tant pis, si je peux me donner confiance en commençant, c’est bien aussi ; mais faire seulement un début n’est pas très satisfaisant non plus. Ce sens de l’inachevé est assez frustrant : c’est aussi un demi-échec.
Si je pense à mes cartes de vœux, le début n’était pas génial ; et ensuite, quand je les ai toutes reprises, la plupart sont devenues bien. Donc, il y a de l’espoir, car le début est souvent laborieux. Il faut couvrir la surface, c’est un travail de matière, assez long. La deuxième couche est plus légère, plus jetée, plus rapide ; elle donne aussi une profondeur, un velouté, des nuances, des harmoniques de couleur. Elle enrichit une première couche un peu brute, un peu transparente, un peu maladroite souvent. C’est la touche du maître, sur le fond posé par l’étudiant ou le nègre. Bien sûr, il faut aussi la confiance du maître pour la poser.
Le tout est de ne pas prendre tout ça trop au sérieux. C’est un jeu, et le résultat est-il si important ? J’ai toujours réussi beaucoup de tableaux, même si certains le sont moins. Et finalement, je suis en général assez content de moi, lorsque je vais au bout des choses. C’est quand je m’arrête avant, que je ne suis pas content. Je crois qu’il est bon que je travaille sur des séries, plusieurs peintures à la fois. Ainsi, je passe à une autre quand une me pose problème, ou ne me satisfait pas ; plutôt que de me bloquer, d’essayer à tout prix de sauver une peinture qui ne va pas. C’est alors que je me décourage, que cela cesse d’être un jeu et un plaisir, que l’enthousiasme s’érode et fait place à la dépression et au blocage, et que le découragement s’installe. Finalement, faire beaucoup de peintures, et choisir ensuite les meilleures, est plus stimulant que de s’acharner désespérément sur une seule. Passer trop de temps sur une toile ou une œuvre n’est pas très bon : ça devient trop sérieux, trop important, trop pesant. La spontanéité, l’enthousiasme, le jeu, disparaissent, et cela se transforme en une lourde tâche, une responsabilité, un laborieux devoir. Donc, toujours rester léger, frivole, désinvolte, ludique ; traquer l’impermanent, le fugitif, le contingent, l’illusoire, le rêve.
4 janvier 1999, Chiang Mai